Lecture synoptique du système (politique) territorial* Camerounais
- KAMGA TENGHO, Ph.D @KamgaTengho_VDP
- 16 nov. 2022
- 8 min de lecture
Dernière mise à jour : 10 avr. 2023
*Nous utilisons les notions « territorial » et « local » de façon interchangeable.
L’intérêt de cette analyse découle du constat de la complexification des structures de gestion des intérêts publics au niveau infranational. Ainsi, face aux nombreux problèmes de collaboration entre les différents services publics au sein des Collectivités Territoriales Décentralisées (CTD), nous avons tenté de comprendre quelles pouvaient être les causes de ces dysfonctionnements issus vraisemblablement d’incompréhensions dans l’interprétation des dispositions constitutionnelles, légales et règlementaires qui organisent le système politique territorial camerounais. Pour pouvoir clarifier la question, nous avons mené des études sur la décentralisation telle qu’envisagée au Cameroun au travers notamment de l’analyse du Code Général des CTD (CG-CTD), des textes régissant les secteurs d’activités relevant des compétences reconnues aux gouvernements locaux et des organigrammes des administrations centrales en charge de l’élaboration des politiques gouvernementales sur des matières relevant des compétences à transférer.
Il ressortira de ce travail d’étude institutionnaliste que le Cameroun va opter dans son processus de décentralisation pour le triptyque qui est d’ordinaire dans les Etats unitaires, qui consiste en la répartition des compétences dans le cadre de la mise en place des gouvernements locaux entre celles exclusives au gouvernement central, celles exclusives aux gouvernements locaux, et celles partagées entre le gouvernement central et les gouvernements locaux. L’analyse du mode d’exercice de ces compétences, ainsi que du cadre légal de coexistence/collaboration entre les différentes administrations concernées pourrait-elle nous permettre d’appréhender au mieux la complexité du système politique qui en découle ?
Des compétences exclusives au gouvernement central
Il s’agit ici de compétences dévolues par la loi à l’Etat, dont le gouvernement central exerce sous la conduite du Président de la République (et du Premier Ministre) et des chefs des autres pouvoirs, l’autorité. Ainsi, d’après l’article 5(1) du CG-CTD : « La décentralisation consiste en un transfert par l’Etat, aux Collectivités Territoriales, de compétences particulières et de moyens appropriés ». Il est donc de la compétence exclusive du gouvernement central de procéder à la mise en place et à l’opérationnalisation des CTD à qui il transfert de ses compétences et les ressources nécessaires à leur exercice dans les meilleures conditions possibles. C’est d’ailleurs ce que précise l’article 17 du même code, selon lequel : « L’Etat transfère aux Collectivités Territoriales les compétences nécessaires à leur développement économique, social, sanitaire, éducatif, culturel et sportif ».
Sachant que c’est le gouvernement central qui décentralise, c’est au travers des actes règlementaires du Président de la République, du Premier Ministre, du Ministre des Finances et du Ministre de la Décentralisation et du Développement Local que les modalités d’application du CG-CTD sont élaborées et mises en œuvre. Sur cette base, ce gouvernement assume au nom de l’Etat, le rôle de tutelle comme le précise l’article 72(1) du CG-CTD qui stipule que : « A travers ses représentants, l’Etat assure la tutelle sur les Collectivités Territoriales par le biais du contrôle de légalité ». Ainsi, les autorités administratives que sont le Gouverneur et le Préfet, chefs des circonscriptions administratives que sont la Région et le Département, assurent pour le compte du Gouvernement central, les fonctions exclusives de représentation auprès des organes de gestion des CTD. Ils sont d’ailleurs en charge, en conformité avec les prérogatives régaliennes reconnues à l’Etat, de la garantie des intérêts nationaux, du contrôle administratif, du respect des lois et règlements et du maintien de l’ordre public au sein des circonscriptions administratives qui sont également les territoires du ressort des CTD (Régions, Communautés Urbaines, Communes, Communes d’Arrondissement).
Compétences exclusives aux gouvernements territoriaux
Listées dans le Livre Troisième, Titre II portant sur les compétences transférées aux communes et le Livre Quatrième, Titre II portant sur les compétences transférées aux régions, le CG-CTD présente les compétences qui sont reconnues comme transférées aux gouvernements territoriaux. Portant de manière générale sur les questions économiques, sociales, sanitaires, éducatives, culturelles et sportives, ces transferts doivent être organisés pour chacune des compétences par un décret du Premier Ministre portant « dévolution des compétences » qui est en quelque sorte l’acte de naissance et la notice d’exercice des prérogatives admises comme exclusives aux gouvernements territoriaux. Ce qui annule le caractère systématique de leur exercice, en dehors de celles reconnues acquises aux Communautés Urbaines, Mairies et Mairies d’Arrondissement depuis 1974.
Ainsi que nous l’avons souligné ci-dessus, les gouvernements territoriaux n’exercent que les compétences qui leurs sont transférées par le gouvernement central, seul maître d’œuvre de la décentralisation et garant du développement local. Cependant, l’article 18(1) du CG-CTD va préciser que : « Les Collectivités Territoriales exercent à titre exclusif les compétences transférées par l’Etat ». Le transfert de ces compétences serait donc irréversible, sauf sous certaines conditions telles que le stipulent les dispositions de l’article 18(2) suivant lequel : « par dérogation à l’alinéa 1 ci-dessus, les compétences transférées peuvent être exercées par l’Etat : a) si le gouvernement entend intervenir ponctuellement dans le cadre du développement harmonieux du territoire ou en vue de résorber une situation d’urgence ; b) en cas de carence dûment constatée par arrêté du Ministre en charge des collectivités territoriales ». Dans ce cas, ces compétences sont exercées en conformité avec les dispositions du décret du Premier Ministre portant modalités d’exercice par l’Etat des compétences transférées aux CTD, en cas de dérogation.
Compétences partagées entre le gouvernement central et les gouvernements territoriaux
Les gouvernements central et territoriaux ont la lourde responsabilité, en conformité avec les dispositions de la Constitution et des lois, d’exercer au nom du peuple souverain l’autorité de l’Etat. Ce qui en fait des acteurs dont les actions sont censées être complémentaires, la décentralisation consacrant une forme d’organisation de l’Etat et non l’opportunité de la constitution de nouveaux pôles de pouvoirs de par le pays. Pour bien comprendre en quoi consiste le partage des compétences entre ces différents paliers de gouvernement, il serait nécessaire de ressortir les instruments nationaux de conduite de la politique publique de décentralisation (a) et d’analyser l’organisation institutionnelle du polity local (b).
a) De la conduite de la politique nationale de décentralisation
Le gouvernement central intervient dans tous les domaines de la vie des gouvernements territoriaux. Il dispose ainsi d’un droit de regard et de suivi sur leurs fonctionnements au quotidien et exerce la prérogative de tutelle et de contrôle de conformité. Par contre, les gouvernements territoriaux ne disposent pas de cette capacité, aucun de ses représentants ne pouvant participer à quelque niveau que ce soit aux décisions qui concernent le fonctionnement des administrations centrales, même sur des sujets les concernant.
Cependant, des instances nationales sont mises en place pour accompagner le gouvernement central dans la mise en œuvre de sa politique nationale de décentralisation. Composées de membres du gouvernement, d’experts, de hauts fonctionnaires et d’élus, ces instances servent non seulement d’entités techniques placées auprès du Premier Ministre, mais également d’organes de suivi du fonctionnement des CTD au quotidien. Il s’agit précisément : du Conseil National de la Décentralisation ; du Comité Interministériel des Services Locaux ; du Comité National des Finances Locales et ; du Comité Interministériel de Coopération Décentralisée.
De ces constats, on est en droit de se demander comment, à la faveur de ce qui est appelée « accélération » de la décentralisation au Cameroun, le gouvernement central et les gouvernements territoriaux vont désormais collaborer. Ne serait-il pas vital pour le pays qu’ils développent un modèle de co-gouvernance censé rendre routinier le partage des tâches et des ressources dans le but de rationaliser leur usage et d’éviter le gaspillage des idées et des compétences ? Il est certain qu’il s’agit là d’un impératif au succès de la politique de décentralisation en cours de mise en œuvre, étant entendu que le pouvoir exécutif n’a plus le monopole de la mise en œuvre ou application des lois.
b) Organisation Institutionnelle du Polity local Camerounais
Les instances de gestion du champ politique et administratif local du Cameroun sont multiples et multiformes, obéissant en même temps aux exigences de développement harmonieux du pays et d’association des populations à la gestion de leurs propres affaires. Nous les avons réparties en deux catégories elles-mêmes subdivisées en deux, pour en faciliter la compréhension.
Il existe ainsi les administrations publiques relevant directement du gouvernement central, composées des services de la préfectorale (chargée de l’administration territoriale), et des administrations déconcentrées plus connus sous le vocable de services extérieurs des administrations centrales (délégations d’arrondissements, délégations départementales et délégations régionales). Ces administrations comprennent également les services judiciaires (parquet), de défense et de sureté nationales, ainsi que les établissements techniques.
Ensuite, nous avons les administrations publiques décentralisées en charge de l’exercice des prérogatives des collectivités territoriales. Elles gèrent ainsi les collectivités territoriales de droit commun qui sont organisées de façon semblable sur l’ensemble du territoire national, en l’occurrence les Régions et les Communes. Elles gèrent également les collectivités à spécificités, créées pour répondre à des réalités territoriales particulières. Il s’agit précisément des Régions à régime spécial du Nord-ouest et du Sud-ouest, des Communautés Urbaines et des Communes d’Arrondissement.
La particularité camerounaise cependant est que ces différentes administrations, relevant pour les unes du gouvernement central et pour les autres des gouvernements locaux, cohabitent au niveau territorial sans qu’il ne soit énoncé de manière spécifique dans le CG-CTD, une hiérarchisation entre elles. Ainsi, les administrations relevant de l’Etat sont placées sous l’autorité du Gouverneur dans la Région (circonscription administrative) et du Préfet dans le Département et les Arrondissements. En même temps, ces autorités de la préfectorale exercent les fonctions de représentant unique de l’Etat (et donc du gouvernement central) auprès respectivement de la Région (collectivité territoriale) placée sous l’autorité d’un Conseil (Exécutif) Régional et de la Commune (ou Communauté Urbaine) placée sous l’autorité d’un Conseil Municipal (ou de communauté). On pourrait sur cette base prétendre que le Gouverneur et le Préfet sont de fait, au nom du Président de la République, du Premier Ministre, du Ministre de la Décentralisation et du Ministre des Finances qu’ils représentent, les autorités hiérarchiques des CTD de leurs circonscriptions administratives respectives.
Cependant, la Constitution reconnait aux CTD l’autonomie administrative et financière et la libre gestion de leurs affaires. Ce qui signifie qu’elles sont censées fonctionner et conduire leurs actions publiques sans interférences possibles sauf dans les cas prévus par la loi qui d’ailleurs consacre le principe du contrôle à postériori. Les gouvernements locaux jouissent donc de prérogatives constitutionnellement reconnues, portant de façon générale sur des compétences légales qui sont également du domaine de certaines administrations centrales dont les services extérieurs sont, au même titre que leurs services (tout aussi publics), en charge de la territorialisation des politiques publiques. Il faut reconnaître cependant que le législateur va énoncer des éléments de hiérarchisation possible dans l’organisation des services publics locaux, mais qui malheureusement obéissent à des situations particulières, difficiles à déterminer et soumises au consentement des acteurs.
Ainsi, d’après l’article 497 du CG-CTD, il est prévu que « (1) Les services déconcentrés de l’Etat, initialement placés sous l’autorité du Gouverneur de Région, et dont les compétences sont intégralement transférées aux Régions, sont déversés auprès du Président du Conseil Régional ou du Président du Conseil Exécutif Régional. (2) Les services d’arrondissement de l’Etat dont les compétences sont intégralement transférées aux communes, sont reversés auprès du Maire de la commune ou de la commune d’arrondissement selon les cas ». Mais, c’est un décret du Président de la République qui détermine les modalités de transfert, d’affectation et de mise à disposition de ces services publics auprès des gouvernements locaux, selon que le transfert soit intégral ou partiel. Sur cette base, quand exactement pourrait être arrêté ou déterminé le transfert intégral des compétences, quand on sait que les prérogatives des administrations centrales se complexifient (continuellement) du fait des évolutions de la vie dans les villes et les campagnes de par le pays ?
En guise de conclusion
Le législateur camerounais n’ayant pas fait de l’unicité des services publics locaux (et du principe hiérarchique qui en découle) une priorité dans l’organisation institutionnelle du politylocal, il va sans dire que ces différents administrations et services ont besoin de mettre en place des stratégies de cohabitation pacifique, d’échange et de partage d’informations, ainsi que des moyens de conduite concertée de l’action publique relevant de leurs prérogatives partagées pour une atteinte optimale des objectifs de développement et d’amélioration rapide des conditions de vie des populations. C’est pour contribuer à ces efforts que le Cabinet K.T & Associates a développé l’Atelier des Défis Actuels du Développement Local (ADDEL), en attendant qu’une hiérarchisation claire soit adoptée, et que les intérêts publics locaux soient gérés par des services uniques en fonction des sujets.
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