Territorialité, développement local et démocratie à l’ère de la décentralisation factuelle:
- KAMGA TENGHO, Ph.D @KamgaTengho_VDP
- 4 août 2020
- 18 min de lecture
Dernière mise à jour : 10 avr. 2023
Et si les Comités de quartier étaient la clé ?
INTRODUCTION
En matière d’institutions de gouvernement et de gestion de la chose publique locale, le Cameroun depuis l’accession à l’indépendance en 1960 et la réunification en 1961 aura fait des progrès significatifs. D’un système à parti unifié aux allures de parti unique dès 1966 précédé d’une fédération consacrant deux modèles cohabitant d’administrations locales jusqu’en 1974, la Cameroun va réaliser son ouverture démocratique au début de la décennie 1990, pour ensuite se doter en 1996 d’une Constitution consensuelle.
En effet, cette nouvelle loi fondamentale (dite Constitution de 1996) va doter le droit constitutionnel du pays de principes de droit garantissant aux citoyens la jouissance de libertés sociales, politiques et économiques universellement reconnues. Elle va également ériger les institutions publiques principales en pouvoirs (Exécutif, Législatif et Judiciaire) dans le but, entre autres, de permettre l’atténuation de la prépondérance du Président de la République sur ces différentes branches du gouvernement.
Malgré le caractère toujours présidentialiste, voire, hyper-présidentialiste du système politique en vigueur au Cameroun, de nouvelles dispositions vont introduire dans l’organisation territoriale de l’Etat (auparavant organisé en provinces, départements, arrondissements et districts), les gouvernements locaux qui sont des « personnes morales de droit public » jouissant de « l’autonomie administrative et financière »[1]. Englobé dans l’antienne décentralisation, le processus de mise en place effective des Régions et des Communes en tant que Collectivités Territoriales Décentralisées (CTD) est certes de la responsabilité du Président de la République et du gouvernement central, mais en tant qu’obligation constitutionnelle et droit fondamental des communautés à la base suivant le principe de dévolution des compétences (d’après la Constitution et la loi) et non de délégation (selon les priorités et le rythme voulu par le gouvernement central).
Les relations ne sont donc plus « hiérarchiques » entre le gouvernement central et les gouvernements territoriaux ou local governments. La nature des rapports entre ces différents niveaux de gestion de l’Etat devrait désormais être imbriquée à la définition concertée du cadre, des conditions, des voies et moyens d’actions communes dans le respect des dispositions constitutionnelles, légales et règlementaires en vigueur pour atteindre l’objectif central en matière de politiques publiques, qui est celui de la résolution diligente et irréversible des problèmes de la société. En effet, ils exercent dans le respect de leurs prérogatives et compétences respectives ou partagées, des portions du pouvoir de l’Etat (sans principe de subsidiarité entre le centre et les local governments) et rendent compte au même titre de leurs actions au peuple souverain.
Modalités d’exercice de la démocratie locale
D’après les dispositions de la loi N°2019/024 du 24 décembre 2019 portant Code Général des Collectivités Territoriales Décentralisées (CG-CTD), les Mairies et les Régions ont l’obligation de s’appuyer sur les citoyens à la base pour élaborer, mâturer, mettre en œuvre et évaluer les projets de développement portant sur des sujets relevant de leurs attributions. Le législateur camerounais sur cette base va instituer une approche horizontale de gouvernance au niveau local, approche qui consiste à faire des citoyens et partenaires sociaux des acteurs autant que des bénéficiaires des décisions des organes municipaux et régionaux de gouvernement.
Les municipalités ont de ce fait, l’ultime devoir de développer des cadres formels de concertation et d’action commune qui intègrent les Comités de quartier (en zone urbaine) ou de village (en zone péri urbaine et rurale) dans la conduite de l’action publique locale. Il s’agit de devoir définir leurs plans d’action en tenant (absolument) compte des attentes des composantes sociologiques principales de la commune à savoir chaque citoyen, les groupes organisés, les populations autochtones, et les familles; en contrepartie des devoirs qui leur incombent.
L’organisation territoriale actuelle du Cameroun.
D’après le décret N° 2008/376 du 12 novembre 2008 portant Organisation Administrative de la République du Cameroun, le territoire est organisé en circonscriptions administratives que sont : les Régions, les Départements et les Arrondissements. Cette organisation en forme pyramidale couvre l’ensemble du territoire national et détermine la hiérarchie de commandement des unités administratives dont la gestion stratégique et courante est dévolue au Cameroun à la préfectorale.
Ainsi, les Arrondissements ont à leurs têtes des Sous-préfets. Plusieurs Arrondissements forment un Département, qui a à sa tête un Préfet, supérieur hiérarchique des Sous-préfets, mais dont les compétences ne s’appliquent que dans les limites de celles dévolues par voie réglementaire aux Sous-préfets dans leurs Arrondissements respectifs. Par la suite, plusieurs Départements forment une Région qui a à sa tête un Gouverneur, supérieur hiérarchique des Préfets et des Sous-préfets de la Région, mais dont les compétences ne s’appliquent aussi que dans les limites de celles dévolues par voie règlementaire aux Préfets et aux Sous-préfets dans respectivement leurs Départements et leurs Arrondissements. Le Cameroun dispose sur cette base de 10 Régions, 58 Départements et 360 Arrondissements.
L’organisation des CTD va faire correspondre leurs superficies territoriales à deux unités administratives déjà existantes, à savoir la Région et l’Arrondissements. Les Mairies vont de la sorte se voir attribuer des compétences légales limitées aux Arrondissements et les Régions aux circonscriptions administratives éponymes. Cependant, ni la loi fondamentale, ni les dispositions légales du pays n’a prévu de nos jours, d’organisation territoriale au-delà des Arrondissements[2]. Ce qui place les mairies dans un dilemme en terme d’organisation administrative déconcentrée, bien que les quartiers existants (en majorité désorganisés, voire spontanés) servent de délimitation spatiale dans un cadre informel et sans aucune base légale reconnue.
Cependant, les mairies disposent désormais d’une opportunité formelle pour donner un contenu à leur organisation infra-arrondissement. En effet, les dispositions de l’article 182 du Code Général des CDT stipule que : « (1) Dans la limite des moyens disponibles, le Conseil Municipal peut créer des comités de quartier ou de village au sein des communes ». Il s’agit là d’une compétence qui place le Conseil Municipal au cœur de l’organisation concrète de la commune, subdivisée soit en « quartier », soit en « village ». L’article va d’ailleurs plus loin à son alinéa 2 en précisant que : « Les comités de quartier ou de village mentionnés à l’alinéa 1 ci-dessus sont des cadres de concertation qui visent à favoriser la participation des populations à l’élaboration, à l’exécution ou au suivi des programmes et projets communaux ou à la surveillance, la gestion et la maintenance des ouvrages et équipements concernés ».
Il ressort de ces dispositions deux éléments fondamentaux. D’abord, les limites territoriales des comités à mettre sur pied, qui devraient correspondre à des quartiers. Les Conseils Municipaux ont sur cette base, le devoir de procéder à l’identification, la matérialisation des délimitations, la dénomination (en cas de besoin) et la vulgarisation des quartiers dans les arrondissements au titre de ce qu’ils représentent désormais des entités municipales déconcentrées placée sous l’autorité de la Mairie. Par la suite, en respect des dispositions de l’arrêté du ministre en charge de la décentralisation et du développement local fixant leurs modalités de création, les Conseils doivent procéder à l’organisation desdits comités de quartier et de village, puis, à leur mise en place formelle en tant qu’entité à part entière de la commune.
Élément nouveau dans le paysage des CTD au titre d’organe participant à la gouvernance des Communes, il conviendrait dans un premier temps de comprendre ce qu’on entend par Comité de quartier, en lien avec la décentralisation et le développement local tels qu’ils se pratiquent.
1- Décentralisation, développement local et comités de quartier : vers la constitution d’une communauté de projet[3] ?
La loi portant Code Général des Collectivités Territoriales Décentralisées énonce, de façon brève (en quasi contradiction avec son importance) la possibilité pour les Conseils Municipaux de créer des comités de quartier ou de village au sein des Communes. Il s’agit par ces dispositions, de l’introduction dans la gouvernance locale, d’instances de quartier dont l’importance a fait ses preuves ailleurs, notamment en matière de renforcement de la démocratie locale. Bien que facultative d’après la loi, il serait difficile pour un Conseil Municipal résolument désireux d’élaborer un plan de développement local qui fédère de se passer d’un tel instrument, surtout qu’il favoriserait le processus de déconcentration territoriale et fonctionnelle des Communes.
Que ce soit des conseils, des associations ou des comités comme dans le cas du Cameroun, ces instances sont avant tout des regroupements de citoyens appartenant au même quartier pour défendre leurs intérêts. Intérêts qui se doivent d’être profitables à tous, bien que portant sur des spécificités comme l’accès aux services publics municipaux, les relations de voisinage, le cadre de vie et les infrastructures, les problèmes liés à l’éducation, les problèmes de santé et d’accès aux soins, etc. Les comités de quartier doivent ainsi remplir un certain nombre d’impératifs dans leur mise en place, impératifs qui relèvent de la légalité, de la représentativité et de la territorialité.
(a) Conditions légales de mise en place des comités de quartier
En l’absence de spécifications précises contenues dans les dispositions légales du pays, les comités de quartier peuvent se former en s’appuyant sur la loi en vigueur garantissant la liberté d’association[4]. On parlerait dans ce cas de formation par « mouvement ascendante[5] », c’est-à-dire que les citoyens des quartiers sont à l’origine de la création de leurs comités respectifs, bien qu’ils soient dans l’obligation de se faire reconnaitre auprès des autorités municipales comme s’étant constitués en tant que tel.
Parce qu’il ne peut y avoir plus d’un comité pour un seul quartier, leurs créations se font parfois par le regroupement de plusieurs associations déjà existantes dans un quartier donné. Une fois créés de façon ascendante et reconnus, ils ne peuvent être dissous que dans les conditions prévues par la loi, même s’il est possible que leurs dirigeants soient à un moment donné considérés comme non représentatifs par les autorités municipales. Ce qui suppose d’ailleurs que les Comités n’ont d’autres choix que d’exercer leurs activités en respect des directives municipales contenues dans un règlement (un arrêté ou une décision, voire une résolution) les concernant.
A l’inverse, des dispositions légales et règlementaires spécifiques peuvent prévoir les modalités de création, d’organisation et de fonctionnement des comités de quartier, ainsi que c’est le cas au Cameroun. Il s’agit ici de la méthode de formation par « mouvement descendante »[6], c’est-à-dire que les comités de quartier sont créés, organisés, composés et assistés par les Conseils Municipaux qui d’office, détiennent le pouvoir de les dissoudre. L’avantage ici étant que ces comités bénéficient de l’assistance directe des Mairies pour leur fonctionnement, ces dernières pouvant mettre à leur disposition un local, des ressources et du personnel.
L’inconvénient cependant est qu’entre les Mairies et les comités peuvent se développer des relations de subalternité, avec comme effets ce que leur participation en tant qu’instance représentant les intérêts des habitants du quartier soit basée sur l’information exclusivement. C’est-à-dire, l’information des autorités municipales des doléances des populations et l’information des populations des directives municipales. Les comités de quartier se voyant dans ces conditions réduits à des rôles d’animation festive et ludique, à des tâches d’animation sociale, avec le statut de relais monotones.
L’idéal serait cependant que les Conseils Municipaux, les Exécutifs Municipaux et leurs comités de quartier forment de véritables communautés de projet. Le principe étant qu’ils s’appuient sur une démocratie locale active où les citoyens, les organisations sociales et la fonction publique locale se mettent en synergie pour définir les priorités portant sur les méthodes et moyens de conduite des actions publiques locales ainsi que les cadres d’intervention concertée pour la prise en charge des problèmes courant de la municipalité[7]. Une démarche bottom-top, qui consacrerait au Cameroun un modèle déontologie de gouvernance.
(b) La question de la représentativité dans la composition des Comités de quartier
Les quartiers des villes sont le lieu de production de nouveaux rapports et liens sociaux à filiations secondaires (au-delà des liens identitaires ou familiaux) basés ou pas, sur le sentiment d’appartenance à l’espace habité. En tant qu’entité sociale, la ville est particularisée par le nombre important de personnes qui y vivent, la densité de ses lieux d’habitation et l’hétérogénéité (identitaire, sociale, politique, religieuse, économique) de ses habitants[8]. La complexité des échanges sociaux s’y observe par le fait pour chaque individu d’appartenir à la fois à plusieurs groupes ou regroupements en fonction des contraintes ou des opportunités qui lui sont offertes. La résidence dans un quartier n’est donc qu’un aspect des filiations sociologiques de chaque habitant, alors que s’y regroupe des personnes aux origines nationales, voire internationales diverses, appartenant à diverses religions, avec des opinions politiques diversifiées et une vision particulière du modèle de société qui devrait dominer la vie du quartier.
Le rôle des comités de quartier serait dans ce type d’environnement, de justement prévenir les conflits (qui sont inhérents à tout type d’organisation sociale) en contribuant à créer les conditions d’une vision commune de l’avenir du quartier et des moyens d’y parvenir. Ce qui implique que les personnes responsables au sein des comités devraient être des résidents reconnus du quartier. Elles devraient jouir d’une bonne réputation et ne pas être associées ou associables, du fait de leurs comportements, à une des catégories sociologiques que compte le quartier. Elles devraient accepter et promouvoir le vivre ensemble dans le respect des différences, tout en faisant preuve d’exemplarité dans la gestion des fonds destinés au fonctionnement des comités de quartier.
La question de la représentativité serait donc centrale au plein succès de la dynamique de gouvernance locale que pourraient impulser les Conseils Municipaux au travers des comités de quartier. Dans le cas contraire, si les tares comme la corruption, le tribalisme, le favoritisme et les décisions unilatérales dominent le processus de leur mise en place, ils deviendraient des sources inéluctables de tensions et de mal gouvernance.
(c) Les comités de quartier et territorialité « infra-arrondissements »
Comme le souligne François Rangeon : « La première condition d’existence d’un comité de quartier est la délimitation précise d’un territoire identifié par un nom, et la reconnaissance de l’exclusivité de la représentation de cet espace au profit d’un seul comité de quartier[9] ». A l’évidence, il ne saurait y avoir de comités de quartier, sans quartier. Ni de quartier sans délimitation préalable du territoire de l’arrondissement municipal de façon rationnelle, en tenant compte des dispositions règlementaires en vigueur, des spécificités physiques et de son histoire à travers ses populations.
Nous l’avons vu, l’organisation administrative et territoriale du Cameroun se limite aux Arrondissements comme unités de base, étant en même temps la superficie attribuée par la loi aux Mairies du pays. Il serait donc judicieux que les Conseils Municipaux envisagent de mettre sur pied un plan local d’organisation territoriale avec pour objectif de délimiter, matérialiser, nommer (si nécessaire) et institutionnaliser les quartiers dans une stratégie de déconcentration fonctionnelle et administrative non ad hocratique.
Sur le plan fonctionnel, la déconcentration pourrait permettre de mettre sur pied les comités de quartier avec des prérogatives territoriales bien définies. Ce qui faciliterait leur composition, la nature de leurs tâches et de leurs besoins (en fonction des réalités de leurs espaces de couverture). Sur le plan administratif, la déconcentration pourrait permettre de répondre à l’un des objectifs de la décentralisation, qui est de rapprocher toujours plus les services publics des administrés. Ainsi, les Conseils Municipaux pourraient, en fonction des besoins en présence, décider de la délégation de certains services de la Mairie dans les quartiers (sous la supervision et la surveillance des instances de direction des Comités) pour lutter contre l’engorgement des services centraux et assurer la proximité des prestations sociales et techniques des populations qui en ont le plus besoin.
(d) Modalités pratiques de mise en place des comités de quartier : pistes de réflexion
La loi ne donne pas de canevas et n’attribue à aucune instance outre que les Conseils Municipaux, la responsabilité de la création et de l’opérationnalisation des comités de quartier. Sur le plan fonctionnel, il reviendrait donc à cette instance locale de délibération de recommander à l’Exécutif Municipal, de lui proposer un texte devant contenir les modalités de création, d’organisation, de composition et de fonctionnement des comités pour chaque quartier de l’arrondissement municipal, en fonction des réalités locales et en respect de l’arrêté du Ministre de la Décentralisation et du Développement Local en la matière. Ce texte, dont le contenu doit être discuté de façon transparente, devrait faire l’objet d’une étude en Commissions, puis en plénière et d’une délibération des Conseillers Municipaux pour entrer en vigueur au travers de textes règlementaires municipaux les sanctionnant. Une fois cette procédure accomplie, la modification ou l’abrogation desdits textes ne pourrait se faire que par la même voie que celle ayant conduit à son adoption, c’est-à-dire, par délibération.
Au préalable de cette démarche politique, il serait salutaire que le travail dévolu à l’Exécutif Communal en la matière soit conduit sur la base d’études des réalités anthropologiques, sociologiques, religieuses et humaines du territoire de la Mairie. Ce qui permettrait non seulement la prise en compte de tous les groupes influents de la société locale, mais aussi d’anticiper des contradictions possibles issues de pesanteurs qui peuvent survenir des rapports de force entre groupes organisés au sein de la Commune. Pour finir, il serait judicieux que la démarche prenne en compte les différentes associations d’actions citoyennes, les comités locaux de développement, les groupes de surveillance et d’auto-défense déjà existants au sein de la commune pour non seulement reconnaître leur rôle courant et leur importance, mais aussi pour que les acteurs qui animent ces groupes puissent, s’ils le souhaitent, participer à la composition et à l’animation des comités de quartier.
2- Les comités de quartier face aux enjeux de gouvernance, de développement local et de consolidation de la démocratie camerounaise
Dans le contexte de ce qui s’apparente à une évolution textuelle notable en matière de gouvernance et de démocratie locales, le Cameroun semble avoir pris la mesure des besoins des citoyens en matière de participation en tant qu’acteurs, aux prises de décisions pouvant influencer, ou affecter leurs vies courantes. Bien qu’à ce jour, le processus de décentralisation soit à la phase de mise en place (effective), les dispositions du Code Electoral et du Code Général des CTD suscitent des espoirs, quoique leur analyse approfondie laisse transparaître des lacunes et des limites qu’on espère surmontables avec le temps et l’expérience dans l’exercice de la démocratie par et dans les communautés à la base.
Au-delà de l’existence de ces instruments, le faible taux de participation aux récents processus électoraux pourrait être interprété comme la démonstration du manque d’engouement des citoyens camerounais pour la démocratie électorale. Il serait juste de rappeler ici qu’il subsiste dans notre pays, un divorce profond entre les populations et la classe politique dont les frasques, l’incompétence, l’arrogance et les querelles (qui font la une des médias au quotidien), contribuent à dégouter les citoyens de tout intérêt pour la chose publique.
Cependant, les citoyens du Cameroun se sont toujours organisés au niveau local pour défendre leurs intérêts et entretenir des réseaux d’entraide efficace dans la lutte contre la pauvreté. Que ce soit au travers d’associations à vocation culturelle, d’associations de développement des localités d’origine ou de résidence, des tontines, des regroupements d’intérêts économiques ou même de groupes d’auto-défense, ces organisations ont toujours eu pour vocation première d’entretenir les liens sociaux transcendant les clivages. Le manque d’engouement pour la démocratie électorale ne signifie donc pas que les citoyens camerounais ne soient pas attachés aux valeurs démocratiques, aspirant de la sorte à un mieux-être par le travail, l’effort et la liberté d’entreprendre, ensemble. En effet, ce qui semble leur avoir manqué jusqu’ici serait un véritable «espace public de débat[10] » pour la réalisation des projets relevant de l’action publique concrète.
(a) Démocratie camerounaise et actions publiques locales face aux vices de la démocratie «délégative »
La démocratie délégative[11] se manifeste au Cameroun par le fait que le peu de citoyens qui consentent à se rendre aux urnes se contentent de voter puis, se désintéresse du fait de devoir demander des comptes ou de s’intéresser à la manière dont les élus gèrent leurs mandats. Bien que cette attitude soit propice à toutes formes de fraudes électorales et de compromis du ventre, pendant les cinq années que durent les mandats des Sénateurs, des Députés et des Conseillers Municipaux, les citoyens malheureusement vivent très peu l’impact des actions de ces derniers dans leurs quotidiens. Dans la plupart des cas, ils ne les connaissent d’ailleurs pas, subissant de la sorte la forme la plus nocive des limites de la démocratie électorale.
Même s’il ne fait aucun doute que les élections sont un excellent moyen de sanction ou de promotion de l’élite politique, la période post-électorale est aussi une période pour les citoyens de mobilisations sociales. Il s’agit là de l’exercice de la liberté fondamentale d’expression reconnue par la Constitution et les lois de l’Etat, qui permettent de maintenir l’attention des élus sur leurs responsabilités premières qui sont celles de servir l’intérêt général et d’assurer leur rôle de médiation sociale. Malheureusement, il semblerait que « les africains votent, mais ne décident pas[12] ».
Si la pratique de la démocratie délégative persiste en l’état, elle aura des conséquences graves sur la manière dont les CTD fonctionneront. En effet, on y observe de nos jours que les projets y sont conçus dans une opacité totale et de façon autoréférentielle par les Exécutifs Municipaux, sans garanties de la prise en compte des exigences techniques qu’ils impliquent. Les Conséquences étant que ces projets, assez souvent, ne répondent pas aux besoins urgents et vitaux des populations ; sont exécutés de façon approximative ; et peuvent avoir des conséquences négatives sur les structures sociales et la coexistence pacifique des familles et des communautés à la base[13].
Dans le même sens, les citoyens subissent les décisions politiques communales, les élus locaux ne se gênant pas de procéder à l’adoption de mesures nouvelles pouvant engager des dépenses supplémentaires pour les contribuables sans consultation préalable de ces derniers. De tels procédés de prises de décisions sont d’ailleurs utilisés pour l’installation des lieux marchants, des bars et autres lieux de mondanité, des espaces dédiés aux spectacles, des gares pour transports urbains et interurbains, sans tenir compte des effets que les pollutions (sonores, environnementales) et les activités criminelles qu’elles attirent auraient sur la qualité de vie des familles qui en sont riveraines.
Les populations à la base, contraintes de subir ces faits d’injustice au quotidien accumulent malgré elles frustrations et colères qui s’expriment par une méfiance systématique vis-à-vis de tout ce qui relève des initiatives des autorités locales. Il est pour ainsi dire malheureux de constater que la démocratie délégative donne aux élus, l’illusion d’exercer un pouvoir sans opposition citoyenne et sans limites alors que l’exercice de l’autorité en démocratie est essentiellement basé sur le sens de persuasion dont devraient disposer ceux qui en sont dépositaires. De la sorte, seule une démocratie représentative de fait, pourrait garantir la mise en place de tels rapports, pour s’orienter vers une gouvernance locale exemplaire.
(b) Comités de quartier et démocratie représentative
La démocratie camerounaise ne pourrait connaître d’évolution favorable à la prise en main par les citoyens, de leurs responsabilités à devoir demander des comptes aux officiels (élus ou nommés) que si ces citoyens s’engagent ouvertement à s’intéresser à la manière dont les gouvernements locaux gèrent et administrent les CTD. Il s’agit là, de l’expression à la fois d’un droit et d’un devoir moral fongible dans la responsabilité sociale de tout citoyen en âge de raisonner.
Il est possible que le processus de décentralisation en cours de mise en œuvre au Cameroun soit une opportunité à saisir dans ce sens ; de même que les comités de quartier servent de parvis à l’institution de mécanismes de gouvernance locale, en ceci que : « En étant invité à s’informer sur les dossiers locaux, à donner son avis, à entrer dans des procédures de concertation, le citoyen non seulement exerce un droit démocratique essentiel, mais encore s’enrichit d’une expérience qui peut le conduire, d’engagements occasionnels en engagements occasionnels, à un engagement plus pérenne dans ‘le politique’ (plutôt que dans ‘la politique’) [14] ».
Le processus de décentralisation en cours au Cameroun va faire du local le lieu de définition de nouveaux rapports sociaux et de manifestation d’une nouvelle forme d’intérêt général. Dans le respect de leurs prérogatives, les gouvernements locaux se doivent de construire des référents en matière de gouvernance, d’actions publiques et de développement qui tiennent compte des spécificités propres à chaque territoire des CTD. On imagine mal, comment il serait possible de parvenir à cette fin sans que soient associés les citoyens organisés de diverses manières (en fonction des intérêts en présence) mais regroupés au sein des comités de quartier.
Les citoyens conscients de leurs rôles et de leurs devoirs au sein de leurs CTD, sont susceptibles de développer une prise de conscience en faveur du respect de la règlementation en vigueur et de devenir non-seulement acteurs de leur propre autorégulation dans l’espace public, mais aussi gardiens de l’ordre et de la discipline dans cet espace. Le respect de la loi étant liberté, « La démocratie locale participative peut ainsi être conçues comme un processus de transaction sociale visant la production d’un intérêt commun[15] ».
Les comités de quartier de la sorte prendraient leur place au sein de la Commune en tant qu’instances de protection du commun ; lieux de réflexion et de propositions destinées à garantir une efficacité appréciable dans la conduite par les élus, des politiques publiques dans une dynamique bottom-top et en respect de l’intérêt général local. Ils pourraient d'ailleurs devenir un instrument de prévention et un cadre de résolution des litiges dans les quartiers.
CONCLUSION
L’échec du processus de décentralisation en cours de mise en œuvre de façon résolue dans notre pays, sera l’échec de la Nation entière. Ainsi, l’implication de chacun pour le plein succès de cette désormais politique publique est une obligation morale et un devoir citoyen. Nous parlons bien d’engagement ici, qui suppose que les filiations politiques et sociologiques ne sauraient avoir de prépondérance. Souvenons-nous qu’il aura fallu 23 ans et une crise sécuritaire grave dans les Régions du Nord-ouest et du Sud-ouest pour que le politique camerounais, longtemps endormi par le fait que les citoyens se soumettent maladroitement à la démocratie délégative, fasse enfin le choix de réconcilier le pays avec son propre droit constitutionnel portant sur les Collectivités Territoriales Décentralisées. Mais, mieux vaut tard que jamais.
Il est temps d’en finir les tares de la gestion contribute de la chose publique et de doter le Cameroun d’institutions territoriales fortes et d’une base politique saine de laquelle émergera les hommes et femmes qui seront chargés demain, de conduire son destin au niveau central. Les comités de quartier sont donc le lieu de rassemblement et d’harmonisation des propositions qui vont faire l’apanage et la force de toute CTD qui saura mettre le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple, au cœur de ses transactions sociales[16] et de ses préoccupations permanentes. Ce qui permettrait à la politique publique de décentralisation en cours de mise en œuvre au Cameroun, d’éviter le piège de la conduite autoréférentielle par les local governments (centralisation locale), des programmes de développement qui relèvent de leurs prérogatives et de leurs compétences.
[1] Constitution de la République du Cameroun : Article 55 (2). [2] Les districts ayant disparu de l’organisation administrative du territoire. [3] Reynaud, Jean-Daniel, Les Règles du Jeu, Paris, A. Colin, 1989. [4] Dans le cas du Cameroun, il aurait pu s’agir de la loi N°90-53 du 19 décembre 1990 portant sur la liberté d’association. [5] Gontcharoff, Georges, Le Renouveau des Comités de Quartier, CURAPP/CRAPS, in La Démocratie Locale. Représentation, Participation et Espace Public, PUF, 1999. [6] Ibid. [7] Éclairage public, aménagement des pénétrantes et entretien des routes des quartiers, sécurité publique, lutte contre l’insalubrité et toutes les formes de pollutions, etc. [8] Wirth, Louis, Urbanism as a Way of Life, in American Journal of Sociology, 1938. [9] Rangeon, François, Les Comités de Quartier, Instruments de Démocratie Locale ? in La Démocratie Locale, Représentation, Participation est Espace Public, PUF, 1999. [10] Habermas, Jürgen, L’espace Public, Paris, Payot, 1986 (1ère édition). [11]O’Donnell, Guillermo, Delegative Democracy, in Journal of Democracy Vol.5, N°1, January 1994. [12] Robert, Anne-Cécile, Mobilisations Populaires, Tentations Autoritaires et Dépendance Economique : De Conakry à Nairobi, les Africains Votent mais ne Décident Pas, in Le Monde Diplomatique, Février 2010. [13] Célestin Monga disait déjà à l’époque que : « Le continent souffre de quatre déficits profonds qui se renforcent mutuellement : le déficit d’amour-propre et de confiance en soi ; le déficit de savoir et de connaissance ; le déficit de leadership et le déficit de communication », in Le Messager du 14 mai 2006. [14] Gontcharoff, Georges, Op. Cit. [15] Blanc, Maurice, Participation des Habitants et Politiques de la Ville ; l’Invention de la Démocratie Locale, in Blanc, Maurice (dir.), Vie Quotidienne et Démocratie, Paris, L’Harmattan, 1994. [16] Rémy, Jean, Négociations et Transaction Sociale, in Négociations N°03, 2005/1.
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