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CAMEROUN : PREVENIR UN GENOCIDE QUI SE PROFILE

  • Photo du rédacteur: KAMGA TENGHO, Ph.D  @KamgaTengho_VDP
    KAMGA TENGHO, Ph.D @KamgaTengho_VDP
  • 6 sept. 2021
  • 8 min de lecture

Dernière mise à jour : 10 avr. 2023


Introduction

À partir du 6 avril chaque année, le Rwanda commémore durant cent jours le génocide contre les Tutsi, perpétré en 1994. Evènement macabre dont l’humanité entière aura été affectée, il est très surprenant de constater aujourd’hui encore l’absence durant cette période, de cérémonies du souvenir s’y rapportant au sein des pays africains. Il ne serait pas inutile de rappeler que l’Afrique, qui détenait les moyens d’empêcher ce génocide, porte au même titre que la communauté internationale le fardeau du choix des convenances diplomatiques alors que des centaines de milliers de vies d’hommes, de femmes et d’enfants innocents étaient en jeu. En effet : « en juin 1994, le mois le plus meurtrier, l’organisation de l’Unité Africaine (OUA) a tenu, comme si de rien n’était, son sommet annuel à Tunis sans même juger nécessaire d’inscrire à son ordre du jour la situation au pays des mille collines. Le gouvernement intérimaire rwandais (GIR), qui n’était pas loin en ce temps-là d’avoir assassiné un million de Tutsis, y a tranquillement siégé au nom de l’Etat génocidaire(Diop,mai 2021). » Les pays africains en général et le Cameroun en particulier sont-ils vraiment à l’abri de la survenance sur leurs territoires, d’un génocide aux relents de batailles et règlements de compte politique?

Course ethno-centrée à l’armement ?

Le monde occidental, dont la responsabilité dans l’abandon des rwandais à ce triste sort aura été démontré(Adelman et al.,1999)(Dallaire,2003), a fait de cette période de commémoration une des étapes annuelles cruciales dans la sensibilisation et l’éducation de ses jeunes apprenants aux dangers de la haine identitaire et du totalitarisme. Malgré quelques exceptions et bien qu’elle ait reconnu sa part de responsabilité aussi (OUA,Mai 2000), l’Afrique à travers ses pays se montre indifférente à cette démarche. Pourtant, nombre de ses Etats comme le Cameroun voient dans leurs espaces publics respectifs se structurer des organisations (dont les membres nient l’existence) engagées dans la conservation ou l’accession aux fonctions publiques au nom de l’identité ethnique exclusive ; les sentinelles de ces organisations ayant fait de la déshumanisation de concurrents identitaires potentiels la base de leurs discours stigmatisant. Au Cameroun, l’organisation et le partage des charges publiques sur les bases ethno-régionales (baptisés équilibre régional) semblent subir les attaques de transfuges et déchus du régime en place, qui n’hésitent plus à faire de l’exacerbation des clivages identitaires un moyen de mobilisation politique, en se donnant en même temps (et de façon contradictoire) une posture victimaire et ethno-messianique dans l’indifférence d’un gouvernement permissif qui balbutie des initiatives de sensibilisation médiocres et en deçà de la menace qui profile un dénouement macabre à l’horizon.

Est-il besoin de démontrer que dans notre pays, on assiste à une course ethno-centrée à l’armement dont l’accumulation de biens et la consolidation de réseaux internationaux sont la caractéristique ; la prise ou le contrôle du pouvoir suprême de l’Etat en étant l’objectif ? La petite élite néocoloniale, responsable de ces batailles de pénombre, sollicite tous les moyens possibles pour accumuler argent, contacts externes, réseaux ésotériques, cours de fanatiques tribalistes, sentinelles dans la haute administration et les services de sécurité ainsi que parmi les membres des communautés tribales dans les grandes villes du pays. Pour cela, ils usent de corruption, de chantage, de détournements de fonds publics, de marchés fictifs, d’appels à la générosité en apparence humanitaire, de fraude bancaire, de fraude fiscale et/ou douanière, de chantage, de manipulation et bien sûr, d’un ethnicisme farouche.

L’ethnicisme toléré au nom d’une pseudo libéralisation de la vie publique

Quand dans un polity donné, l’etnicisme ou ethnocentrisme en politique (Omolola Adadevoh,2001-2002) devient un instrument de mobilisation idéologique tolérée et que des organisations diverses se structurent autour des identités tribales pour permettre aux leurs d’accéder à des fonctions publiques dans le but de s’en servir pour accroitre leurs forces financière, relationnelle et humaine en prévision d’une bataille que tous ruminent en prétextant la défensive, alors nous sommes sans aucun doute dans une phase de pré-génocide. Cette phase qui peut durer des années, voire des décennies, finit par aboutir à l’étape où la nécessité de la destruction physique de l’ennemi identitaire déclaré coïncide avec le bon prétexte, des capacités logistiques pour des tueries et déplacements à grandes échelles et un dopage des masses à la haine des victimes. La structuration des instruments de construction de l’ennemi identitaire est bien en cours au Cameroun, l’appartenance à l’une des centaines des identités nationales devant signifier qu’on soit considéré soit comme un allié, soit comme un ennemi, ou alors comme un traitre à la cause ethno-communautariste.

L’étude de ce qu’il s’est passé au Rwanda entre Avril et Juillet 1994 et dont les origines remontent aux XIXème siècle pourrait permettre de décoder les faux-semblants quant au déroulement de l’histoire contemporaine de notre pays. Il n’est pas erroné de dire que le Cameroun est en train d’aller vers ce qu’a connu ce pays, mais il est grave de constater à quel point les alertes et mises en garde à ce sujet sont vues comme des exagérations, comme c’est souvent le cas avant les massacres de masse. Pourtant, le devoir du souvenir dont l’Afrique et le Cameroun devraient se montrer à la hauteur au sujet du génocide contre les Tutsi serait une occasion en or de faire sens de ce qu’au Rwanda on appelle Kwibuka (littéralement, se souvenir) qui est la devise de la commémoration annuelle du génocide. L’important étant de sensibiliser les jeunes apprenants contre les menaces que font peser certains politiciens, journalistes et web-journalistes, hommes d’église, leaders d’opinions, activistes à la solde de groupes identitaires organisés, leaders communautaires, etc. sur la paix civile, l’harmonie sociale et l’épanouissement moral des jeunes générations.

Comprendre la mécanique génocidaire

Il n’est pas question ici de s’approprier l’histoire d’une autre Nation. D’ailleurs, n’est-il pas reconnu que le Cameroun a déjà connu un génocide lors de la période coloniale et postcoloniale, qui fut le fait d’une puissance occidentale qui a d’ailleurs été très active au Rwanda en 1994 (Duclert & al., mars 2021) ? Etant donné que la menace qui plane est fratricide, s’appuyer rationnellement sur les erreurs passées des autres Nations pour prévenir la survenance d’un génocide au Cameroun ne serait pas une démarche ex nihilo. Ce, bien que des observateurs mal avisés prétendent que le nombre d’ethnies dans notre pays serait une entrave sérieuse à la survenance d’un tel évènement macabre. Ce qui n’est que méconnaître les mécaniques de la haine identitaire ; sous-estimer l’effet de l’ivresse du pouvoir qui conduit à sa conservation à tous les prix ; sous-estimer l’appétit pour les avantages qu’offre ce pouvoir sur des âmes médiocres et les esprits faibles ; minimiser les conséquences des discours qui ont pour but de chosifier continuellement des identités nationales dont les jeunes générations sont abreuvées au quotidien.

Un génocide en préparation furtive ne se présente pas toujours sous la forme de la planification par un dominant homogène, du déplacement en masse ou de l’extermination d’un dominé tout aussi homogène. L’histoire est pavée de récits d’alliances entre plusieurs minorités qui décident d’exterminer d’autres minorités avec qui elles partagent pourtant la même nationalité. Tout tournant autour de l’accès ou de la conservation du pouvoir d’Etat pour bénéficier des facilités économiques et sociales qu’il offre et s’assurer de sa domination certaine sur les autres composantes identitaires de la société qui doivent absolument et permanemment faire allégeance et vœux de renonciation à toute ambition politique.

Faiblesse des moyens de réponses

Il est étrange que le Cameroun n’ait pas à ce jour, ratifié (et encore moins signé) la Convention pour la Prévention et la Répression du crime de Génocide approuvée par l'assemblée générale des Nations Unies le 9 décembre 1948 et entrée en vigueur le 12 janvier 1951. Même s’il est possible de s’expliquer cela par le souhait pour le pays d’éviter ou de minimiser au maximum des ingérences étrangères dans ses affaires internes, il n’existe cependant pas dans notre législation interne de textes spécifiques destinés à la prévention et la répression du crime de génocide. Textes qui adaptés aux menaces en cours comme l’indique leur intitulé, permettraient de soulager l’espace public de discours ouvertement tribalistes.

On ne pourrait pas nier par contre que des dispositions, quoi que floues et difficilement exploitables, existent dans la loi n°2019/020 du 24 décembre 2019 modifiant et complétant certaines dispositions du Code Pénal et portant sur l’ « outrage aux races et religions » et l’« outrage à la tribu ou à l’ethnie ». Tout comme il existe une loi très cosmétique censée servir à promouvoir les langues nationales (loi n°2019/019 du 24 décembre 2019 portant promotion des langues officielles au Cameroun). Malgré leur existence, une impunité ambiante est observée et pourrait entre autres s'expliquer par le fait qu'à ce jour, la Commission Nationale pour la Promotion du Bilinguisme et du Multiculturalisme s’active à sensibiliser sur le danger des discours haineux bien qu’elle soit dans cette action en déphasage avec la dangerosité et l’ampleur de la menace qui tend à s’épanouir dans notre société.

Est-ce que les autorités du Cameroun sont vraiment ignorantes de la nature du danger qui nous guette ? Surtout que nous vivons dans un monde où l’Afrique est continuellement fragilisée de l’extérieur à partir de ses propres réalités internes. Dans le cas de notre pays, notre diversité enviée qui est notre plus grande force, est transformée en notre plus grande faiblesse au travers de la promotion : d’idées ethno-suprématistes ; d’idées affirmées de territorialité ethno-exclusives ; de l’idée vendue dans l’opinion par de gros moyens médiatiques que l’occupation de la fonction présidentielle doit se faire sur la base de rotations ethno-régionales ; d’idées farfelues selon lesquelles les richesses nationales seraient accaparées par les hommes et femmes originaires de l’ethnie d’origine du président de la république.

En guise de pistes de réflexion

A défaut de ratifier la Convention internationale pour la Prévention et la Répression du crime de Génocide, le Cameroun pourrait adopter une loi interne ayant le même thème. En effet, après observations et analyses, il est de notre conviction que le gouvernement ne devrait plus se contenter de la lutte contre les discours haineux au travers de campagnes de sensibilisation, mais devrait rendre pénalement responsables les individus et les organisations qui se démarquent par le développement de discours stigmatisant, de pratiques discriminatoires et d’actes de complots dont les objectifs sont de s’en prendre à une ou plusieurs des identités nationales. Ensuite, nous proposons que soit créé au sein de toutes les Préfectures du pays, un observatoire du multiculturalisme. Cet organe, composé d’hommes et de femmes spécialisés dans le renseignement stratégique, aura pour mission de dresser des fiches de personnes qui se démarquent par des discours et actes de tribalisme, ou qui mettent sur pied des regroupements ethno-centrés pour s’arroger des monopoles dans le foncier, la grande distribution, le commerce, l'administration publique, la politique, etc.

Aux côtés de ces innovations (qui prônent la sensibilisation et la répression), il serait nécessaire de savoir s’appuyer sur l’éducation qui ici, a un rôle déterminant à jouer. En cela, l’étude des génocides, comme celui contre les Tutsi (parce que le plus récent) serait assez illustrative, en même temps que le génocide contre les juifs en Europe (1939-1945), contre le peuple Arménien (1915-1923), contre les peuples Herero et Nama en Namibie (1904-1908), le génocide contre les peuples algérien et camerounais (1884-1970), contre les peuples américains d’origines, contre le peuple aborigène d’Australie, contre les africains pendant l’esclavage, contre les Africains en Afrique du Sud ; ou les tueries de masse planifiées ayant eu lieu au Cambodge (1975-1979), en Bosnie (1992-1995), en République Démocratique du Congo (depuis 1998), etc. Ce qui pourrait permettre à tous et aux apprenants en particulier de comprendre les mécaniques de la haine identitaire et leurs manifestations, de savoir faire la différence entre l’ethnicisme et l’expression de son appartenance nationale et culturelle, et de résister aux idées reçues distillées sur les peuples du Cameroun par certains Camerounais ethno-chauvins.

Conclusion

L’impunité étant le socle de l’épanouissement de tout pré-génocide, une fois la haine encrée dans les gènes identitaires, il est particulièrement difficile de l’extirper. Le repli identitaire dans notre société est tel, que des fortunes sont mises à disposition par des groupes pour constituer des réseaux médiatiques censés servir de caisse de résonnance à leurs ambitions de s’accaparer ou à conserver à tous les prix le pouvoir d’Etat. Très souvent les contemporains ne se rendent pas compte de la gravité de leurs actes dans l'histoire, aussi ne pas agir contre ces pratiques serait les cautionner. De plus, en paraphrasant le Président Paul BIYA, Il est fondamental de dissiper les rumeurs selon lesquelles, l’on peut tranquillement s’organiser pour impunément calomnier des peuples, stigmatiser des nations, appeler au meurtre de camerounais du fait de leurs identités nationales « dans l’espoir qu’un éventuel dialogue permettra d’effacer tous ces crimes et assurera l’impunité à leurs auteurs »./.

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